L'intégration est un concept fort dans le design. Lorsque les différentes parties d'un objet sont pensées les une en fonction des autres cela crée immédiatement un sentiment de complétude, d'achèvement, cela donne du sens.

Au contraire, si l'objet semble être construit par la simple addition de constituants, l'idée du bricolage n'est pas loin.

La quasi totalité des pipes gainées de cuir qui se montrent dans ces colonnes sont des pipes que l'on aurait tout aussi bien pu finir par un ponçage et un cirage et les vendre comme des pipes à bois nu. Je veux dire par là que, dans leur conception, rien ne tient compte du revêtement dont elles vont être habillées.

Le caractère exceptionnel de celle-ci est que le bois a été travaillé spécialement pour un gainage. Cela se traduit par la prise en compte de l'épaisseur du cuir lors du tournage de la tête de la pipe et par l'agencement du tuyau de pipe.

En effet, le diamètre du foyer dans sa partie supérieure est légèrement plus important que pour le reste du fourneau de manière à créer une continuité entre le cuir et le bois une fois la pipe gainée.

Il en va de même pour le tuyau dont la section est un peu supérieure à celle de la tige en bois nu. Le cuir se trouve alors au même niveau que l'ébonite. Ce sont ces détails qui montrent le raffinement du pipier.

L'autre particularité de cette pipe qui vaille aussi la peine d'être mentionnée est sont origine : les marques espagnoles ne sont pas légions.

Bien que Bruken ait une consonance plutôt nordique, cette pipe est fabriquée à Aldaya (Aldaia ?), à un saut de puce de Valence (Valencia, Espagne).

La Bruyère se dit "Bruc" en valencien, et Emilio Navarro, fondateur de l'entreprise en 1914, a jugé bon de remplacer le "C" par un "K" et d'y adjoindre ses initiales "E.N." pour former BRUKEN. Cette firme assure aujourd'hui encore tous les processus de la réalisation des pipes, de la sélection des broussins, leur séchage, juqu'aux dernières finitions de la pipe.

Un point secondaire, mais qui a tout de même son importance : Bruken produit des pipes pour Peterson !

Décidément cette marque est trop peu connue et je suis assez satisfait de pouvoir montrer à travers cette pipe qu'on porte dans cette maison un soin particulier à la recherche de ce détail qui fait la différence.

La marque Chacom pourtant très largement diffusée en France comme à l'étranger, n'a pas produit énormément de pipes vêtues de cuir.

Du moins c'est ce qui transparaît lorsqu'on observe le marché de la pipe d'occasion (Estate).

Pour comparer ce qui est comparable, lorsqu'il y a une pipe Chacom de ce type à vendre, on en trouve au moins dix de la marque Ropp. C'est une évaluation subjective, mais qui ne doit pas être très loin de la réalité statistique. En six mois je n'en ai vue qu'une sur les sites de vente aux enchères

Je suis donc ravi de posséder une pipe de cette marque (qui plus est, en bon état) et de pouvoir la partager ici avec mon lecteur.

Celle-ci se trouvait tout à fait par hasard dans un lot d'une vingtaine de pipes d'occasion acquises sur un coup de tête et à un prix qui me donne encore aujourd'hui l'impression à la fois excitante et honteuse de les avoir volées.

Pour ce qui est de ses qualités gustatives et sa fumabilité (!), disons que ça va, sans plus. Elle n'égale pas une autre pipe gainée de cuir dont je vous dirai beaucoup de bien prochainement, que je fume régulièrement et qui est "canon".

Il reste encore des amateurs de pipes gainées de cuir. Didier Cottin partage avec votre serviteur cette marotte et c'est fort aimablement qu'il m'a proposé de m'envoyer des photographies de sa collection personnelle.

Parmi celles-ci figurent deux pipes de la firme française Courrieu .

Cette marque, bien reconnaissable à son coq gravé sur le tuyau de pipe, est l'une des plus ancienne en France. Son berceau est à Cogolin (Var) dans le voisinage immédiat du massif des Maures. Autrement dit, il n'y avait qu'à faire un saut de puce pour trouver le broussin (Racine de Bruyère) et d'autres marques comme Roux ont également tiré profit jadis de cette proximité avec la matière première.

Certes, les ateliers Courrieu se trouvent toujours dans la même bourgade provençale, mais la divine racine qu'ils utilisent aujourd'hui a poussé sous d'autres cieux. Et puis, ce n'est un secret pour personne, beaucoup de pipes de cette marque sont ébauchées à Saint Claude et seule la finition se fait à Cogolin.

Si vous avez eu la curiosité de visiter le site de la marque vous aurez vite fait d'apercevoir une des raison de la perte de vitesse de Courrieu sur le marché des pipes : la communication de cette entreprise est proprement désastreuse.

Sans parler de la conception du site lui même, sa mise en page vieillotte, sans mentionner les nombreuses images minuscules, floues et illisibles qu'on y trouve, les Mickey qui tournent dans tous les coins, je donnerai juste un exemple : j'aurais voulu vous montrer ce coq mythique qui fait l'emblème merveilleux de la firme. Rien de présentable sur le site même de la marque !

Disons-le tout net : l'encadrement (familial ?) de cette entreprise n'a pas su prendre le tournant du 21ième siècle et ce que vous découvrez est une boite agonisante. (Requiem pour Courrieu ici)

Quoiqu'il en soit de la décadence de la pipe "made in France", je suis néanmoins heureux de pouvoir citer cette marque incontournable qui a tenté, du temps où elle bougeait encore un peu, l'aventure des pipes gainées de cuir.

J'offre à votre appréciation ces deux pipes gainées de cuir qui ont en commun d'être toutes deux des "1/4 Bent" de la marque Old Vic .

Je les trouve particulièrement élégantes et fines, et cela n'est pas tellement courant avec les pipes courbes classiques. C'est sans doute un parti pris, mais j'aurais tendance à me désintéresser, à me lasser, de la forme ultra-classique Billiard "1/2 Bent", par exemple.

Mais celles-ci, en revanche, me séduisent drôlement. Peut être est ce parce que l'on sent la patte du design italien des années 70 ?

Pipe 1

La taille relativement réduite de leur fourneau - Chimney pour la 1 et Dublin pour la 2 - est en belle proportion avec tuyau et tige.

Pipe 2

Old Vic n'est autre qu'une sous-marque de la maison italienne Lorenzo qui réserve cette appellation essentiellement pour ses produits destinés à l'exportation.

Notre homme vient d'acquérir une magnifique pipe d'occasion. Mais voila, elle est un peu crassepouille et il faut la nettoyer, l'hygiéniser et la briquer.

Notre homme est abasourdi par tout ce qu'on lit sur le thème de la restauration des pipes d'occasion. Certains ne jurent que par la technique au sel, d'autres gratouillent l'intérieur du fourneau. On préconise le passage des tuyaux de pipe à la brosse et au dentifrice, à l'eau de Javel, à l'huile d'olive, le nettoyage des perçages au Cognac, au Rhum, à l'alcool de droguerie. Le papier abrasif, la laine d'acier, le scotch-brit, la cire de Carnauba et que sais-je encore devraient faire partie de la panoplie indispensable du petit retapeur de pipe.

Alors notre homme s'est demandé pourquoi tant de chichi, pourquoi compliquer quand on peut faire simple ! La machine à laver n'est pas là pour des prunes. On va vous décrasser cela en moins de rien et en profondeur, s'il vous plaît.

Et hop ! Une demi-heure après la grande lessive , voilà le résultat.

On aurait presque l'impression que la pipe s'est fâché tout rouge, a enflé et pété les plombs comme certains font sauter leur bouton de col de chemise en piquant une colère.

Ca me rappelle aussi ces poitrines prisonnières de quelque corsage à la Castafiore et qui donne l'impression que tout va exploser incessamment sous vos yeux.

Il est vrai que ce dernier spectacle est moins affligeant que celui de cette malheureuse Savinelli bonne à être jetée.